Trouvé dans Marianne: Sous le Prophète, la calotte!
Par Guy Konopnicki
France-Soir s'est honoré, en étant le premier journal français à publier les dessins qui valent à la presse et au gouvernement danois d'être conspués par les islamistes radicaux et condamnés par plusieurs gouvernements. Le lendemain, le propriétaire du quotidien virait le directeur de la publication. Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, que l'on croyait mieux inspiré, s'indignait contre ces dessins, qui seraient injurieux pour les 5 millions de musulmans de France. A Gaza, un groupe radical s'en prend aux bâtiments de l'Union européenne, dont l'aide est pourtant vitale pour le peuple palestinien. La protestation enfle, une organisation armée profère des menaces contre les ressortissants danois et français.
Tout ça pour des dessins d'un anticléricalisme nettement moins agressif que celui de nos républicains de 1905. Mais il s'agit des musulmans ; on serait donc raciste ou islamophobe en caricaturant leur prophète. Cette confusion est inacceptable. Ici, à Marianne, nous défendons le droit à l'expression, à la liberté du culte des musulmans de France. On l'aura sans doute remarqué, nous n'avons de cesse de dénoncer l'invasion de l'Irak par les États-Unis et leurs vassaux. Nous pensons toujours qu'au Proche Orient le chemin de la paix passe par l'accord signé à Genève entre des Israéliens et des Palestiniens, que nous avons pris l'initiative d'inviter à Paris, à la Mutualité. On ne nous fera pas le coup du racisme et de l'islamophobie.
Mais il a fallu plus de deux siècles de combats pour séparer les Églises de l'État, et faire de la France un pays de liberté pour les croyants comme pour les athées. A chacun son sens du sacré. Pour la république, la valeur sacrée, c'est la liberté de critique de toute religion, de toute philosophie, de toute idéologie.
Au pays de Voltaire, on peut en toute impunité se moquer de Moïse, de Mahomet, de Jésus, de Vichnou, du pape, des rabbins, des curés, des imans et autres bonzes, gourous de toutes confessions.
Tout en répétant, après Voltaire, que nous pouvons être radicalement opposés à ce que ces gens professent et défendre, en même temps, leur droit de croire, de pratiquer et d'exprimer leurs convictions. Libre aux musulmans de considérer, comme d'ailleurs les juifs et une partie des protestants, que leur Dieu ne saurait avoir d'image. Après tout, les juifs pourraient se sentir insultés quand on représente un rabbi de Nazareth nu sur une croix. Les catholiques peuvent légitimement considérer que cette définition du crucifix heurte leurs convictions.
Ce qui heurte les miennes, c'est ce déchaînement de haine et d'intolérance. C'est la négation violente de notre culture laïque et républicaine. S'il y a un génie de la France, il tient dans cette histoire qui commence bien avant Voltaire et les Lumières. Quand le catholicisme était religion d'État, on risquait le supplice et la mort non pour avoir représenté le divin mais, au contraire, en refusant de se prosterner devant l'image du sacré. Voltaire fit l'éloge d'une victime emblématique de cette intolérance, le chevalier de La Barre, atrocement torturé et assassiné parce qu'il n'avait pas salué une procession. E esprit voltairien s'est imposé, au terme d'un combat acharné. Les caricatures parues dans la presse danoise sont d'aimables bluettes en regard des insultes proférées alors par les anticléricaux. La Marseillaise de Léo Taxil faisait rimer " calotin " avec " crétin ", et lançait: " Ils réclament les libertés, il n'en est point pour les punaises. " Nous n'irons pas jusque-là, attachés que nous sommes à la liberté des musulmans. Il n'empêche que les ultrareligieux d'aujourd'hui relèvent de la même espèce que les tortionnaires de l'Inquisition. Aucune menace ne nous empêchera de lutter contre les formes nouvelles de la calotte.
Sous le Prophète, la calotte!