Tu ne crois en rien.
Cavanna Charlie Hebdo du 8 février 2006
L’islam, lui, oui. Tout au moins, je me plais à le croire, une frange excitée de l'islam. Or l'islam est, désormais, partout, en terre d'Occident. Et donc, partout où est l'islam, cette minorité d'excités est aussi. Il faut le dire, la peur règne. Car c'est bien la peur qui suscite cette formidable explosion autour des réactions des pays musulmans à la publication des douze dessins danois - pas très bons, d'ailleurs, mais là n’est pas la question. Quiconque croit en quelque chose de tellement sacré qu'il échappe au jugement ne peut admettre qu'il existe des gens pour qui ce tabou n’est pas évident. Dans toutes les religions, la masse des croyants n’en fait pas un crime effroyable, tout au plus un blasphème. Oui, mais, en religion plus encore qu'en tout autre domaine, ce sont les excités, les fanatiques, qui agissent, qui parlent au nom des autres et vont aux pires excès. De tous les dessinateurs interrogés par Le Monde, seul Cabu a eu le mot juste : " Je suis frappé de voir, en ce qui concerne les musulmans, à quel point les modérés ne s'expriment pas et laissent faire des choses terribles en leur nom. " Parmi les dérobades plus ou moins motivées de ses confrères, ce parler libre et franc - et courageux ! - faisait du bien. Cabu, mon petit frère, je t'aime. Il importe de se poser la question pourquoi ce vacarme indigné, pourquoi ces menaces, et, surtout, pourquoi précisément maintenant ? Est-ce là une conséquence de la soudaine accession au pouvoir du Hamas palestinien ? Faut-il y voir un avant-goût du climat de violence et d'insécurité qui, jusqu'ici, a caractérisé l'action du Hamas ? C'est-à-dire créer un climat de guerre sainte, sur l'image d'un islam persécuté et méprisé partout en Occident ? Il semble bien que, malgré toutes les démonstrations multipliées par l'Iran ces derniers temps pour se donner l'allure du leader de la lutte à outrance, le petit Hamas soit en train de lui damer le pion. Donc, nous en sommes là. On peut rire de tout, sauf d'une seule chose : l'image d'un certain prophète, fondateur d'une certaine religion. " On peut rire de tout, sauf. Dans cette phrase, "sauff " prime "tout ". Là où il y a "sauff ", il n’y a plus rien. La liberté ne peut être que totale ou n’être pas. Pour nous, incroyants, toute religion n’est qu'amas de billevesées, consolationnisme, imposture, celle-ci autant que celles-là. Or nous, incroyants, devons subir la loi des croyants - de certains croyants - parce qu'ils nous font peur. Rangez vos discours lénifiants. Vous avez la trouille. J'ai la trouille. On en est là, après plus d'un siècle de triomphe laïque. S'abstenir de publier les trop fameux dessins danois, s'interdire de les défendre, s'autocensurer (quelle chose vile !), c'est abandonner la laïcité, c'est renier les durs combats du début du xxe siècle. Ce que n'ont pu faire nos curés, nos pasteurs ni nos rabbins, les " fous de Dieu " des banlieues sont en train de le réussir. Ne parlons pas de mansuétude ni de respect de l'autre ". Disons franchement: " Je ne me moquerai plus d'Allah ni de son prophète parce que j'ai la trouille. " Et ajoutons : " Si, demain, un imam m'interdit de manger du jambon en sa présence, je m'abstiendrai d'en manger, parce que j'ai la trouille. " Ce sera plusfranc. Je n’avais pas l'intention d'évoquer cette lamentable histoire de caricatures maudites, j'avais un sujet bien en main, et puis, vous savez ce que c'est, l'ambiance m a saisi. Ce dégonflage universel avec tortillements de croupe et protestations de politiquement correct " nia fait bondir. Je pense que, tout ce que je viens de vous dire, les copains l'auront amplement traité dans ce numéro, et sans se dégonfler, eux. Ça ne fait rien, ça soulage. J'écris ceci vendredi. J'ose espérer que d'ici à parution, soit mercredi prochain, la presse française aura, comme un seul homme, protesté franchement, sans tourner autour du pot, contre cette violence qui lui est faite et aura sauvé le principe même de la laïcité. Si nous sommes unis, " ils " ne foutront tout de même pas des bombes dans toutes les rédactions ! Il existe - C’était l’époque des Mille et Une nuits. L’islam, alors, à ce qu’il semble, était aimable. Et fertile. La science arabe brillait d’un vif éclat tandis que l’Occident crevait sous la féodalité et la tyrannie chrétienne.